Mademoiselle la Raison Mais quel tissu d'âneries,
Mademoiselle la Raison
Mais quel tissu d'âneries, il me fut donné de lire, en ces quelques lignes que vous couchiez hier sur le papier, marquées du sceau de votre aigreur et de votre petitesse d'esprit, elles n'en démontrent pas moins votre tentative d'omniscience.
Il faudrait donc, parce que vous l'avez autoritairement décidé, que je m'efface pour ne laisser la place qu'à Madame la Comtesse la Raison. Mais quel manque manifeste de modestie, qui est pourtant mère de bien des raisons ! Mais vous n'êtes pas à une aberration près, hélas.
Peut-être en somme, tout cela n'est que la conséquence de la jalousie qui vous habite à moins que ce ne soit l'envie. Mon Dieu, signez-vous, le mot est lancé. Oui, madame la Raison, vous enviez notre propriétaire et son audace à ne pas se laisser dicter sa loi par votre suffisance qui, au final, confine à de la médiocrité.
Parce que oui, qu'avez-vous inventé de nouveau ? Et pourquoi diable vouloir à tout instant opposer raison et plaisir ? Voilà bien votre obsession maintes fois ressassée. Jouir de la vie et de ses plaisirs, jouir du quotidien, se répandre dans le foutre de ce monde qui n'envie personne mais se donne à tous. Une orgie universelle où chacun trouverait dans le plaisir de l'autre, sa propre réjouissance.
Vos oreilles s'échauffent, vous n'en pouvez plus de lire ces lignes qui suintent la dépravation. Mais vous faites erreur, la vie se doit d'être un banquet ouvert, elle ne peut pas se satisfaire du néant dans lequel vous voulez l'enfermer. Pour vivre, il faut aimer, pour aimer, il faut se donner sans raison, en baissant la garde, en refusant ce que la raison impose. Oui, la déraison gagnera la partie et ce sera salutaire parce que dans la déraison, il y a toute force créatrice. L'artiste renonce à penser son œuvre, d'autres le font pour lui, l'artiste s'arrache à sa vérité pour créer, pour jouir sur sa toile, comme un homme se donne à celle qui s'abandonne à lui.
Moi, la déraison, je sauverai le monde, la raison invite à oublier son être et à se perdre, dans la consommation de plaisirs extérieurs à soi, pour ne pas jouir de soi. Moi, la déraison, je fuis l'opulence du dehors pour ouvrir ceux qui me suivent à la vérité de soi et des autres.
Madame la Raison, en vos siècles d'action, on a vu le résultat, alors dorénavant, baisser la garde et laissez-vous enfin aller dans les nimbes de l'orgie universelle.
Déraisonnablement Vôtre
Madame la Déraison.