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S'épancher
Aujourd'hui, ma journée était un peu bizarre. Ce matin, au café, mon amie sur le départ n'était pas bien, des pleurs ont ponctué le petit noir, il faut essayer de l'apaiser, de donner du sens à ce qui semble partir, justement, dans tous les sens. Ensuite, une réunion sur la fusion de structures intercommunales autour du thème de la lecture publique. Rencontrer des gens agréables qui cherchent la meilleure organisation pour que le public s'y retrouve dans ces restructurations qu'il n'a souvent jamais demandé. Un réseau, oui, mais qui à sa tête ? des bibliothèques, mais dans quels coins ? Autant de questions où ma bonne connaissance du territoire est demandée. Des cantines aux livres, mes champs d'expérimentation sont étendus, et il faut le dire, passionnants.
Toute l'après-midi, j'ai traîné une sourde mélancolie. Parce que les choses ne vont pas comme je voudrais, je me sens frustrée de ne pas avancer dans le sens qui me semble logique, comme empesée par des contraintes et des blocages. Alors, juste avant de partir, j'ai fait ce que je ne fais jamais parce que je n'aime pas mélanger, je me suis confiée à ma secrétaire. C'est bête, je ne devrais pas le faire, parce qu'il ne faut pas mélanger le dedans et le dehors, le privé et le professionnel. Mais, là, je ne voulais pas rentrer à la maison avec mes lourdeurs, avec un poids sur le coeur. J'ai cédé à une faiblesse humaine.
Les relations avec le père des enfants sont compliquées (en ce moment ?), tendues au possible. Demander qu'il paie les misérables quelques euros que le juge lui a demandé pour l'entretien des enfants, le pousse à m'accuser de le "mettre mal financièrement", un monde quand on sait que j'ai passé 7 mois à payer ses dettes. Il veut la garde alternée, mais pas devant le juge, entre nous, comme ça. En gros, quand il aura envie de les garder, selon ses desideratas.
Malgré tout cela, je n'arrive pas à être en colère. Je suis triste, je suis démoralisée mais pas en colère. Je lui trouve des excuses, j'en bave et pourtant, je me dis que le problème, ça a été de lui laisser être ce qu'il a été et ce qu'il est encore. Je n'arrive pas à me révolter, je suis mangée de l'intérieur par cette assignation permanente en mauvais traitement dont il m'accuse. Je suis son bourreau, dit-il.
Je crois que je culpabilise d'avoir la vie facile. J'ai des parents et une soeur d'une présence absolue, des amis incroyables de permanence et d'attentions, un boulot passionnant, je gagne très bien ma vie, j'ai un toit. Un jour, quelqu'un m'a dit que j'avais un "beau chemin de vie". Et lui n'a rien de tout cela, il accumule les échecs et je me bats pour ne pas qu'il fasse tomber mes enfants dans cette chose qui est le renoncement. En permanence, il promet aux enfants des choses intenables, parce qu'il estime la simplicité du quotidien miteuse. Je me bats pour qu'ils restent dans une réalité, certes moins enthousiasmante mais qui adviendra, ils n'avanceront pas dans les regrets mais dans l'acquis peut-être modeste mais réel.
C'est bizarre, je ressasse beaucoup la question de la solitude sentimentale. Parce qu'aujourd'hui, je n'aspire qu'à une chose, m'asseoir sur un rocher, avec un bras qui m'entoure, contempler l'horizon, et construire des petites et infimes petites choses, mais ensemble, sans rivalité, sans faux fuyants, sans rapport de force, et avec cette chose si secrète qui est le respect de l'autre. Juste un rocher qui aurait cessé de tomber en bas, je ne veux plus remonter de rocher, je veux juste m'y asseoir dessus en sereine compagnie. Et regarder les enfants s'épanouir.
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